2021 est une année remarquable, puisque c’est celle des premiers vaccins à ARN messager
(ARNm), mais également celle de la commémoration du centenaire de la découverte de
l’insuline. Une chercheuse, Katalin Karikó, est unanimement reconnue et saluée comme
la principale scientifique à l’origine des travaux sur l’ARNm qui ont abouti à la
mise au point des vaccins Pfizer-BioNTech et Moderna qui seront peut-être la clé de
notre sortie de la pandémie mondiale de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19).
Frederick Banting est le chercheur considéré comme le principal artisan de la découverte
de l’insuline en 1921 [1], [2], [3]. Il recevra le Prix Nobel de médecine en 1923,
et on peut imaginer, espérer, que ce prix sera remis à Katalin Karikó, pour lequel
elle a été pressentie. Les historiens reconnaissent à Banting un caractère persévérant,
opiniâtre, harcelant Mcleod qui ne croyait guère en ce chercheur [1]. L’entourage
de Katalin Karikó la décrit comme volontaire, obstinée, prêchant pour la recherche
sur l’ARNm alors que l’on ne valorisa que les travaux sur l’acide désoxyribonucléique
(ADN) pendant plus de deux décennies. Leur intuition de détenir une voie prometteuse
contre l’avis de leur entourage professionnel est sûrement un autre de leurs traits
communs. Enfin, nul doute qu’à un siècle de distance, ces deux découvertes constituent
un phénomène planétaire aux retombées thérapeutiques considérables et durables. Mais
la comparaison entre ces deux découvertes s’arrête là. Frederick Banting n’avait pas
un passé de chercheur. C’était un jeune médecin diplômé depuis peu. De plus, les travaux
antérieurs, depuis trois décennies, sur le rôle du pancréas endocrine et sur l’isolement
d’un « suc » thérapeutique du diabète maigre avaient préparé la réussite du nobélisé
qui eut peut-être plus de chance que ses concurrents1
[4]. Il ne sera d’ailleurs pas en mesure de continuer dans cette voie à la différence
de Macleod, Collip et Best, qui poursuivirent des travaux de recherche importants
dans plusieurs domaines du métabolisme et de l’endocrinologie. L’itinéraire de Katalin
Karikó est tout autre. Née en Hongrie voici 65 ans, en 1955, issue d’une famille modeste,
c’est une biochimiste chevronnée au parcours exemplaire mais difficile. À l’âge de
30 ans, elle doit quitter son pays de façon clandestine du fait du manque de moyens
dont disposait le Centre de recherche biologique (CRB) de l’Académie hongroise des
sciences où elle travaillait alors. Ayant gagné les États-Unis, elle est recrutée
au Département de biochimie de l’université Temple, dans le domaine des sciences de
la santé, à Philadelphie (Pennsylvanie). Boursière postdoctorale, elle participe à
un essai clinique dans le cadre duquel des patients atteints du syndrome d’immunodéficience
acquise (SIDA), de maladies hématologiques et de fatigue chronique, sont traités à
l’aide d’acide ribonucléique (ARN) double brin (ARNdb). Puis, à l’université de Upen
(Philadelphie), où son souhait de poursuivre dans la voie de thérapeutiques basées
sur le recours à l’ARNm est déconsidéré. Elle rappelle aujourd’hui qu’au cours de
sa longue carrière, elle n’a jamais obtenu de poste de professeure, ni reçu la moindre
bourse du National Institutes of Health (NIH), et qu’elle fut humiliée et rétrogradée
en 1995 au rang de simple chercheuse. Sans l’aide d’un jeune neurochirurgien, David
Langer, de l’hôpital Lenox Hill, à New York, qui la rattache à son unité, et sans
sa rencontre « devant la photocopieuse » avec Drew Weissman, jeune médecin immunologiste,
elle n’aurait pas pu poursuivre dans cette voie (D. Weissman, co-Nobelisable si on
se penche sur leurs travaux communs ? Il a également été co-pressenti). Ensemble,
ils furent les premiers, en 2005, à maîtriser les réactions immunitaires liées à l’ARNm
qui rendaient son usage thérapeutique impossible du fait de réactions immunitaires
majeures, en créant un ARNm hybride qui réduisant la réponse cytokinique des cellules
dendritiques [5], [6]. Le développement d’enrobage par des « nanoparticules » protégeant
l’antigène d’une dégradation protéolytique prématurée a débouché sur ces vaccins ARNm
contre la COVID-19 [6], [7] et ouvre sur ceux contre le virus de l’immunodéficience
humaine (VIH) et des arbovirus (Zika, Chikungunya, dengue, encéphalite japonaise,
virus de la fièvre du Nil occidental) [8]. En 2012, une société de capital-risque
qui soutient Moderna Therapeutics la contacte pour négocier une licence sur le brevet.
Mais elle choisit de rejoindre l’équipe allemande BioNTech, « ils me désiraient plus »,
dont elle prend la vice-présidence. On connaît la suite de l’histoire, un vaccin contre
la COVID-19 démontrait son efficacité chez la souris, puis chez l’homme, moins d’une
année après l’émergence de la pandémie [9], [10]. Outre d’être « injectables », ces
deux découvertes ont cependant un autre point commun. Celui de constituer une avancée
thérapeutique pour l’ensemble de l’humanité, une avancée qui ne peut être réservée
aux pays riches et laisser sans moyens les pays à revenus faibles ou les pays très
pauvres. Comment imaginer ne vacciner que ceux qui peuvent payer le vaccin. Une question
éthique qui sera peut-être rendue incontournable du fait de l’impossibilité sanitaire
et économique de laisser circuler le virus. Le sort de tous les pays sur notre planète
est désormais lié. Mais, en cette année de commémoration du centenaire de la découverte
de l’insuline, on doit malheureusement faire un constat inverse. Des diabétiques en
Afrique, en Asie, en Amérique du sud, qui ont besoin de l’insuline pour survivre ou
éviter les complications, n’ont toujours pas accès (indisponibilité) ou pas les moyens
(coût excessif) de recevoir ce traitement vital. Même aux États-Unis, le coût de l’insulinothérapie
rend ce traitement difficile ou impossible pour beaucoup de personnes diabétiques,
et cette question a fait l’objet de la campagne de Bernie Sanders en 2020 [11]. Un
siècle, « 100 ans », après sa découverte, l’insuline (même les formulations les plus
anciennes) n’est pas administrée à des millions de diabétiques, pendant qu’en France,
le capteur de glycémie est remboursé et la boucle fermée bientôt sur le marché. Qu’on
se remémore la campagne des patients atteints de SIDA qui a permis d’obtenir en quelques
années l’accès aux trithérapies partout dans le monde. Mais le diabète (un demi-milliard
de personnes) est une « MNT » (maladie non transmissible) à l’image encore brouillée
« type 1, type 2, responsabilité des patients ??» et pas « un Virus » redoutable qui
peut tous nous contaminer. Et l’industrie pharmaceutique, comme l’Organisation mondiale
de la santé (OMS) n’ont toujours pas donné une réponse solidaire et bienveillante
à une injustice maintenant séculaire.
Déclaration de liens d’intérêts
l’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.