Aux éditeurs du Journal Panafricain de Médecine
Le cancer est une affection grave et complexe de par ses multiples retentissements
psychiques et sociaux aussi bien sur le patient lui-même que sur son entourage familial.
L'annonce du diagnostic de cancer reste un événement à la fois inattendu, triste et
inacceptable pour le patient et sa famille [1]. Une situation qui constitue une véritable
“mise à l'épreuve”; pour la famille, mobilisant ainsi pour y faire face, toutes les
ressources psychiques et même matérielles de chacun [2].
En cancérologie, le modèle de la famille marocaine est à la fois assez particulier
et intéressant à examiner de près. En effet, un patient cancéreux marocain tout au
long de son parcours avec la maladie, ne se présentera jamais seul dans la structure
de soins, des fois même, toute la famille peut l'accompagner à l'hôpital. Nous nous
sommes interrogés sur les raisons de cet afflux collectif et de cette solidarité que
nous ne retrouvons pas dans les sociétés occidentales [3].
L'accompagnement du patient cancéreux dans son malheur est un moment opportun pour
la famille marocaine de prouver son dévouement et son attachement vis-à-vis de cette
personne malade. Pour elle, c'est aussi un devoir selon les normes culturelles, sociales
et religieuses. Le patient cancéreux peut être une personne analphabète ou ignorante
justifiant la présence d'une personne d'un certain niveau culturel afin de faciliter
l'échange entre le patient et le médecin, ou il peut s'agir tout simplement d'une
personne âgée ou très jeune, nécessitant une assistance par un ou plusieurs membres
de la famille lors des différentes démarches au sein de la structure hospitalière.
Accompagner le malade, c'est aussi un moment privilégié pour rencontrer le médecin
traitant. Si c'est une annonce, la famille en profite généralement pour demander au
médecin de ne pas prononcer le mot “cancer”; devant le patient et de le substituer
par des termes moins tabous et alarmants, ou encore de “maquiller” le pronostic afin
d'épargner le patient cancéreux de la souffrance psychique qui en découlera.
Le soutien apporté par la famille marocaine au patient cancéreux peut être certes
bénéfique. Cependant, il peut présenter plusieurs aspects négatifs; tout d'abord priver
le patient de son légitime droit de connaitre la vérité sur sa pathologie et le pronostic
de cette dernière sous prétexte de le ménager psychiquement, le priver aussi du droit
de choisir son plan de traitement si plusieurs options thérapeutiques lui sont proposées
par son médecin. Par ailleurs, une consultation médicale en présence de plusieurs
personnes peut être source de divergences dans les avis, de conflits familiaux, d'encombrement
dans la salle de consultation et de difficultés de concentration pour le médecin,
entravant ainsi le bon déroulement de la consultation médicale. A ce stade là, le
rôle du médecin s'inscrit dans plusieurs niveaux: la discussion se fera avec un seul
interlocuteur désigné par la famille elle-même, cette personne bien entendu servira
d'intermédiaire entre le médecin et les autres membres de la famille, elle se chargera
aussi d'assister à la consultation et ne devra en aucun moment décider pour le patient.
Le médecin de son coté devra s'adresser au patient dans une langue claire et simple
et l'intégrer continuellement dans la discussion et la décision thérapeutique.
Un autre exemple qui témoigne de la profondeur de cette solidarité est celui de la
fin de vie. En effet, la majorité des familles marocaines insistent pour récupérer
de l'hôpital leur parent en fin de vie ou agonisant, afin qu'il s'éteigne chez lui
entouré par les siens, le laisser mourir à l'hôpital constitue une véritable honte
dans la société marocaine. Contrairement aux pays occidentaux, où mourir avec dignité
selon la famille du patient cancéreux ne conçoit que dans le cadre d'un accompagnement
médicalisé de la fin de vie [4]. Dans ces sociétés, ceci est à l'origine d'une importante
augmentation de la durée et des frais d'hospitalisation des patients cancéreux.
Conclusion
Le modèle de la solidarité des familles marocaines en cancérologie diffère totalement
de celui des familles occidentales. Certes, la société marocaine ne dispose pas des
mêmes moyens et ressources dans le domaine de cancérologie que dans les pays développés,
mais elle a réussi à garder cet aspect singulier et gratifiant de soutien et de solidarité
vis-à-vis du parent cancéreux, puisés sans doute au fin fond de ses nobles valeurs
culturelles, sociales et religieuses.