Difficile de prévoir à l’heure actuelle quelle sera l’évolution de l’épidémie de Covid-191
. La pandémie COVID-19 a conduit le législateur à déclarer l’état d’urgence sanitaire
à compter du 24 mars 2020, prorogé jusqu’au 10 juillet 2020 par la loi du 11 mai 20202
.
Depuis le 16 mars 2020, l’activité expertale a été interrompue, comme beaucoup de
consultations spécialisées. En revanche, nos consultations de fixation d’ITT, les
examens de gardés à vue et le suivi médical des détenus à l’unité sanitaire ont été
poursuivis durant tout le confinement, sans soulever de multiples interrogations débattues
aujourd’hui dans le cadre de la reprise des consultations spécialisées ou des expertises.
Collègues experts, je peux vous assurer que nous aurons une activité importante en
2021 au vu des mises en cause et procédures multiples et variées occasionnées par
la crise sanitaire actuelle. Certaines violences ont diminué en particulier à la sortie
des bars et boîtes de nuit mais les violences intra familiales ont perduré durant
le confinement. Bref, il est bien sûr trop tôt pour disposer d’informations chiffrées
et validées mais on peut parier sur de nombreuses expertises liées directement ou
indirectement à la crise sanitaire actuelle.
Sans même attendre l’épilogue de cette crise sanitaire, des procédures juridictionnelles
sont d’ores et déjà engagées à l’encontre de l’Etat et de ses représentants pour « demander
des comptes » sur la gestion de l’épidémie. Les procédures visent aussi à « exiger
du matériel de protection et des traitements » sur fond de pénurie de certains médicaments
anesthésiques par exemple.
La crise sanitaire actuelle peut nous faire craindre des procédures diverses, que
ce soit au pénal, dans le cadre de l’assurance-maladie mais aussi devant les instances
ordinales pour « discrimination » dans l’accès aux soins, non respect de la vie et
de la dignité des personnes et défaut d’accompagnement du patient en fin de vie… 3
Le risque de procédure liée à une contamination par le Coronavirus SARS-CoV-2 à la
reprise de l’activité soulève de nombreux fantasmes et craintes quant aux responsabilités
des médecins et entraîne une surenchère de précautions, au travers d’affiches, de
marquage des sols, de questionnaires à compléter avant toute consultation….
Alors que les gestes barrières devraient être connus de tous ; il est demandé aux
médecins de les afficher et de les rappeler à chaque consultation ! Toute intervention
nécessite de signer de nombreux formulaires de consentement. Les plans de reprise
d’activité dans les établissements de santé multiplient les contraintes. « Il pourrait
éventuellement être envisagé de demander au malade ayant été infecté par le COVID-19 et
ayant obtenu un rendez-vous de consultation de signer à son arrivée au cabinet un
questionnaire attestant du respect d’un délai de 15 jours après la fin des symptômes
avant de consulter. Auquel cas, le malade devra être prévenu de cette obligation lors
de la prise de rendez-vous »
4
. Imagine-t-on réellement pouvoir mettre en œuvre l’ensemble de ces préconisations
durant plusieurs mois ?
Peu à peu, les activités médicales vont reprendre et le contentieux suivra : les praticiens
conseils de l’assurance-maladie vont de nouveau prendre des décisions susceptibles
de recours et donc d’expertises de sécurité sociale. Les commissions de conciliation
et d’indemnisation nous incitent à reprendre les expertises et les juridictions nous
adresseront de nouvelles missions sans doute plus tardivement, après la pause estivale.
Sur la réalisation matérielle des expertises
En présentiel, aucune réunion ne pourra être tenue, comme par le passé, dans un petit
cabinet médical avec les parties et leurs conseils agglutinés autour de l’expert.
Une fiche de reprise d’activité à partir du 11 mai 2020 a été proposée par la FFAMCE
(Fédération Française des Associations de Médecins Conseils Experts). Il est préconisé
l’absence d’accompagnant sauf si cela est indispensable, en particulier pour un enfant
mineur ou une personne handicapée dépendante. Cependant, je considère que la victime
doit pouvoir venir accompagnée d’un médecin, d’un avocat mais aussi d’un membre de
son entourage. La victime n’a pas choisi son expert, doit évoquer son intimité et
répondre à de nombreuses questions. Le minimum est d’avoir le choix d’être entourée.
De plus, l’accompagnant est souvent source d’informations précieuses en particulier
en cas de troubles neurologiques et tout simplement, c’est en général l’accompagnant
qui a fait office de tierce personne. Sans parler des cas fréquents où la personne
examinée se tourne vers sa mère ou son épouse pour connaître son traitement habituel…
La FFAMCE préconise de demander aux participants de « venir avec ses propres équipements
de protection (masque, gel hydroalcoolique) si possible. À défaut, le rendez-vous
pourra être reporté ». Imagine-t-on réellement refouler une personne qui aurait fait
100 km pour venir à l’expertise parce qu’elle n’a pas de masque ? Il est évident que
l’expert devra alors pallier son manquement en lui fournissant un masque.
Des recommandations ont été émises par le Conseil de l’Ordre des médecins en date
du 24 avril 20205
incitant à la reprise des expertises notamment pour les médecins qui exercent en libéral
une activité d’expertise d’assurances.
Pour l’Ordre des médecins « Le médecin devra recueillir auprès de l’assuré ou de la
victime leur consentement à la tenue de l’expertise, la personne étant avertie précédemment
des conditions pratiques de l’expertise dans le contexte pandémique ».
Il est évoqué la tenue de réunions d’expertise à distance, par un système de visioconférence.
Il convient alors que l’ensemble des parties au dossier soient informées de cette
procédure et y adhérent. En cas de désaccord de l’une des parties, il faudra organiser
une réunion « physique » en respectant les gestes « barrière ».
Les experts sont partagés sur la question mais considèrent que ce serait possible
de réaliser des expertises sur un mode dématérialisé, en responsabilité, lorsque la
victime est décédée. Il n’y alors pas d’examen clinique. Cinq présidents de commission
de conciliation et d’indemnisation (CCI), dans un courrier du 28 avril 2020, proposent
l’utilisation de la visioconférence lorsque le dossier concerne un patient décédé
ou que l’état du demandeur n’est pas consolidé6
. On pourra objecter qu’il est rare de pouvoir déterminer la date de consolidation
avant l’accédit. Les présidents des CCI basées à Bordeaux et à Nancy n’ont pas signé
ce courrier7
.
De nombreuses applications de communication et de visioconférences peuvent être utilisées
(SKYPE, ZOOM, Orange Open Visio, CISCO WEBEX, Microsoft Team ou Tixeo…) mais nécessitent
quelques compétences techniques, et peuvent comporter des failles de sécurité. La
plupart du temps, la version gratuite limite la connexion à un certain nombre de personnes
et/ou à une durée courte. Peu d’experts voudront accéder à une version payante à leurs
propres frais. Pour réaliser des réunions par visioconférence, il faudrait être équipé
avec ordinateur et webcam et s’assurer que tous les intervenants le soient également.
Une difficulté étant d’obtenir les adresses de messagerie électronique de chacun pour
les invités à participer, puis que chacun soit en capacité de se connecter avec un
débit suffisant. On soulignera qu’à ce jour, les CCI et les juridictions ne nous fournissent
que le nom des parties, leur adresse (parfois erronée ou ancienne) et jamais l’adresse
électronique ni les coordonnées téléphoniques. Et pour les avocats, on nous indique
uniquement leur nom…. à nous de chercher leur adresse et leur mail. Des craintes peuvent
s’exprimer sur le respect de la confidentialité des échanges durant l’accédit.
Les experts sont ainsi très partagés sur la possibilité de réaliser des expertises
en visioconférence du fait des contraintes techniques et de la perte d’informations
d’ambiance et d’attitudes. Voir le patient se déplacer dans le cabinet, s’asseoir,
s’aider de ses bras pour se lever du fauteuil, se déshabiller puis surtout se rhabiller
après l’examen est parfois plus utile que l’examen clinique lui-même.
Dans un courrier daté du 4 mai 2020, la commission nationale des accidents médicaux
(CNAMed) est plus réticente que les présidents de CCI concernant la visioconférence
qui peut être « un obstacle au respect du principe intangible de la contradiction
et à l’égalité de traitement des parties à la procédure en favorisant celles accoutumées
à ce moyen de communication ». On imagine effectivement que les avocats et les médecins
conseils sauront s’exprimer au travers d’un écran alors que le demandeur aura plus
de difficultés. Il semble difficile également d’échanger les documents. Scanner un
courrier et l’adresser par mail n’est pas si évident pour un certain nombre de personnes,
en particulier les plus âgées.
À l’heure où nous avons tous fait des progrès en utilisation des modes de communication
à distance, il est évident que la visioconférence peut constituer une solution de
secours dans certains dossiers mais ne doit pas devenir la norme. À l’évidence, ce
serait le meilleur moyen d’éviter une contamination par le SARS-CoV-2. Le risque sanitaire
concerne les demandeurs qui sont souvent âgés, qui auront à se déplacer parfois en
transport en commun, mais aussi des experts, pas toujours jeunes ! On peut admettre,
qu’un médecin ou un avocat puisse assister par visio à l’accedit notamment pour lui
éviter de longs déplacements.
Concernant les expertises pénales mais aussi les examens médicaux réalisés sur réquisition,
la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice
a répondu à des sollicitations d’experts qu’en l’état actuel des textes et de la jurisprudence,
le recours à une visioconférence en matière de médecine légale ne paraît pas justifié.
Le recours à la visioconférence est cependant de plus en plus utilisé en matière pénale.
L’article 706-71 du code de procédure pénale prévoit l’utilisation de moyens de télécommunications
au cours de la procédure pénale et notamment l’audition possible des experts par visioconférence,
devant la cour d’assises ou l’assistance d’un interprète par visioconférence au cours
d’une audition, d’un interrogatoire ou d’une confrontation. L’examen médical à distance
n’est en revanche pas abordé dans cet article706-71.
La DACG argumente sur le fait que la télémédecine n’inclut pas la médecine légale
dans le champ de ses activités (Article L 6316-1 CSP). Il est vrai que la téléconsultation,
c’est-à-dire la consultation à distance entre un médecin et un patient utilisant les
technologies de l’information et de la communication, a été pensée et réglementée
en tant que soin pris en charge par l’Assurance-maladie. Pourtant, une réflexion sur
l’utilisation d’actes de télémédecine pour des examens de gardés à vue et de victimes
sur réquisition mériterait d’être menée.
À ce jour, le ministère de la justice n’envisage pas d’utiliser la télémédecine pour
la médecine légale au plan pénal. Nous ne connaissons pas la position de la direction
des affaires civiles et du sceau (DACS) du ministère de la justice, concernant les
expertises civiles.
À notre avis, rien ne vaudra les réunions d’expertise en présentiel en respectant
les « gestes barrière » et bien sûr dans un grand cabinet, ce qui est plus facile
pour les hospitaliers que pour les libéraux et pour les provinciaux que les parisiens.
Les dispositions réglementaires actuelles de limitation des réunions à 10 personnes
dans les lieux et espaces publics ne visent que les rassemblements privés autres que
professionnels (Article 7 du décret n̊ 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures
générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état
d’urgence sanitaire, modifié par le décret n̊ 2020-604 du 20 mai 2020). Les réunions
professionnelles de plus de 10 personnes sont donc possibles sous réserve du respect
des mesures de sécurité sanitaire. Dans la pratique, les poignées de main sont désormais
bannies et le port du masque s’est imposé.
On peut s’appuyer sur les recommandations du protocole national de déconfinement pour
les entreprises du ministère de la justice du 9 mai 2020 et retenir une distance physique
d’au moins 1 mètre (soit 4 m2 sans contact autour de chaque personne). Par exemple,
une salle de réunion accueillant 10 personnes respectant un espace de 4 m2 par personne,
doit donc être de 40 m2. Si la capacité de la salle n’est pas suffisante, et dans
la mesure où il est difficile d’anticiper le nombre de personnes présentes à l’accédit,
que fera l’expert si les participants sont trop nombreux pour la capacité de la salle ?
À défaut de pouvoir trouver une salle suffisamment grande, on pourrait seulement renoncer
à la présence de stagiaires et limiter les accompagnants (famille ou entourage) du
demandeur à une seule personne. Mais on ne saurait demander à une partie venue accompagnée
d’un médecin et d’un avocat de choisir entre les deux !
L’accédit est le moment où le dossier s’incarne, où les versions sont mises en perspective8
, où les émotions se ressentent, où la pédagogie s’opère et ce grâce à l’intervention
de tous, parties, avocats et experts. C’est ce que disent les magistrats de l’audience
mais c’est vrai aussi pour l’expertise.
Pour les patients décédés, l’expertise joue un rôle fondamental pour les familles.
Pouvoir exprimer leur souffrance peut les aider à avancer, car on rencontre souvent
une grande culpabilité chez les proches des personnes décédées en cas d’infection
nosocomiale ou d’accident médical.
Dans le cadre des expertises sociales, il serait aussi parfois possible de fonctionner
en visioconférence mais avec la difficulté de contacter l’assuré social et qu’il soit
en capacité d’utiliser l’outil informatique. Le nombre de participants est alors plus
limité avec souvent uniquement la personne examinée et l’expert.
La COVID, prise en charge en maladie professionnelle ou en accident de travail ?
La Covid-19 sera reconnue de façon “automatique” comme maladie professionnelle (MP)
pour le personnel soignant, mais pas pour les autres catégories de travailleurs9
, qui devront se soumettre aux procédures classiques, a indiqué le 23 mars 2020, le
ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran10
.
Cette règle s’appliquerait à tous les soignants à l’hôpital, en EHPAD (établissement
hébergeant des personnes âgées dépendantes), ou en ville, y compris les libéraux.
Suite à cette promesse d’Olivier Véran, concernant la reconnaissance de la « maladie
professionnelle » pour tous les soignants contaminés par le SARS-CoV-2, le sujet semble
générer autant d’interrogations que de faux espoirs.
La reconnaissance en maladie professionnelle du COVID promet de très nombreuses expertises
sociales ou en médecine agréée pour les fonctionnaires.
A ce jour, les personnes atteintes par la COVID qui considèrent avoir contracté le
SARS-CoV-2 dans le cadre de leur profession salariée du régime général, ont tendance
à déclarer un accident du travail (AT) plutôt qu’une maladie professionnelle (MP),
faute de tableau. L’intérêt de la déclaration en AT/MP est de bénéficier d’une présomption
d’origine et des prestations en nature (tiers-payant intégral, gratuité des soins
dans la limite des tarifs conventionnés, exonération de ticket modérateur, du forfait
hospitalier…) et en espèces (indemnités journalières sans délai de carence habituels).
Même si des dispositifs exceptionnels ont été mis en place pour les malades du COVID,
il reste de nombreux « avantages » à la prise en charge en AT MP et en particulier,
s’il persiste des séquelles à la consolidation (versement d’un capital ou d’une rente)
ou en cas de décès.
Il est effectivement possible de faire qualifier d’accident du travail l’infection
par le SARS-CoV-211
. Les juges admettent la prise en charge en accident de travail d’un effet secondaire
suite à une injection de vaccin obligatoire dans le cadre professionnel, ou encore
l’infection suite à un accident d’exposition au sang. Il faut démontrer la réalité
de l’infection et la survenue d’un contact avec une personne malade.
En l’absence de tableau, il est cependant déjà possible de faire une demande de maladie
professionnelle hors tableau, devant le CRRMP (Comité Régional de Reconnaissance des
Maladies Professionnelles).
En maladie professionnelle hors tableau, la victime doit apporter la preuve que sa
maladie est « essentiellement et directement causée » par son travail habituel. Il
faut aussi que la maladie, entraîne le décès du patient ou un taux prévisible d’incapacité
permanente partielle (IPP) supérieur à 25 %12
. Pour atteindre ce taux, il faut par exemple subir des séquelles pulmonaires ou rénales
suite à plusieurs semaines en réanimation.
Ce taux d’IPP « prévisible » est fixé par le médecin-conseil de l’assurance-maladie
et peut être contesté auprès de la CMRA (commission médicale de recours amiable).
Concrètement en maladie hors tableau, il y a une perte de la présomption d’origine.
L’avis du CRRMP s’impose à l’organisme de Sécurité sociale.
Une difficulté est que le caractère fortement transmissible du SARS-CoV-2 limite les
possibilités de déterminer l’origine d’une infection. Difficile de dire si on a été
infecté au travail, dans les transports, les commerces ou par son entourage.
Une fois la maladie professionnelle ou l’accident de travail reconnu, les victimes
ont la possibilité d’engager une action en faute inexcusable de l’employeur (FIE),
dans le régime général. Le salarié du régime privé doit démontrer que son employeur
a commis une faute inexcusable pour espérer obtenir une indemnisation complémentaire
en particulier des préjudices extra patrimoniaux, au titre de son AT/MP. Il faut alors
exercer une procédure devant le pôle social du tribunal judiciaire pour faire reconnaître
la FIE par exemple en l’absence de recours au télétravail quand cela est possible,
absence d’aménagement du poste de travail pour faire respecter la distanciation sociale,
ou absence de fourniture des équipements de protection individuelle aux salariés…
Si une faute inexcusable de l’employeur est retenue, une expertise médicale sera sollicitée
pour évaluer les préjudices indemnisables.
Il faudra également s’intéresser aux fonctionnaires et aux agents du service publique,
qui comme les salariés du secteur privé, ont un régime plus favorable de protection
sociale associé à la reconnaissance des accidents de service et des maladies contractées
en service13
.
La reconnaissance en maladie professionnelle ou en accident de travail ne concerne
que ceux qui ont été infectés au travail. Certains voudraient une indemnisation plus
large prenant en compte notamment l’entourage du salarié infecté et soutiennent la
création d’un fonds d’indemnisation.
Vers la création d’un fonds d’indemnisation ?
Dans un courrier du 29 avril 2020, adressé au premier ministre Edouard Philippe14
, l’association Coronavictimes réclame la création d’un fonds d’indemnisation des
victimes du Covid-19 (FIVIC) sur le modèle du fond d’indemnisation des victimes de
l’amiante (FIVA). Pourtant, ce serait plus logiquement, vers l’Office national d’indemnisation
des accidents médicaux (ONIAM) que l’on pourrait se tourner.
Pour justifier d’un tel fonds, il faudrait au préalable considérer qu’il y a eu une
faute de l’État dans la préparation et la gestion de l’épidémie.
Une proposition de loi a été déposée le 12 mai 202015
, en vue de créer un Fonds d’indemnisation spécifique pour les victimes du « covid-19 »,
qu’elles soient salariées dans le secteur public ou privé, indépendants ou bénévoles
et, de fait, tous leurs ayants droit.
Ce texte est prévu à l’ordre du jour du Sénat le 25 juin 2020.
Expertises en responsabilité médicale
La crise sanitaire actuelle fait s’interroger les médecins au sujet de leur responsabilité
éventuelle.
Quelles seront les mises en cause possible dans le cadre du COVID ? Les employeurs
s’inquiètent de leur possible mise en cause par un salarié infecté par le COVID, voir
même des poursuites pour mise en danger d’autrui, sans besoin que le salarié soit
d’ailleurs infecté puisque le danger suffit16
. Diverses plaintes pour mise en danger d’autrui ont été récemment déposées par des
familles de résidents d’EHPAD, des détenus, un collectif de médecins ou encore des
salariés, visant des ministres, des employeurs, des directeurs d’établissements…
L’infraction de mise en danger d’autrui peut-elle être légitimement retenue à l’encontre
d’un soignant qui exposerait ou contaminerait un patient, un collègue à l’occasion
de soins ?
Or, le simple fait de prodiguer des soins ou de ne pas respecter les gestes “barrières”,
par exemple, ne présume pas nécessairement d’une exposition directe des tiers au virus
puisque le soignant n’est pas nécessairement contaminé. Bien que le SARS-CoV-2 semble
particulièrement virulent, la contamination n’est pas systématique. L’exigence tenant
à la caractérisation d’un risque immédiat de mort ou de blessures graves ne paraît
pas remplie, au regard des données épidémiologiques connues concernant le SRAS-CoV-2.
La situation devient plus complexe si un médecin se sait infecter mais continue à
exercer et donc ne respecte pas de période d’isolement. La presse a relayé le cas
du préfet des Pyrénées-Atlantiques, Éric Spitz, qui a annoncé le 1er avril 2020 avoir
saisi les procureurs de Pau et Bayonne du cas de deux soignants soupçonnés d’avoir
poursuivi leurs activités tout en se sachant contaminés par la Covid-1917
.
Des procédures pénales sont donc d’ores et déjà initiées par des dépôts de plainte
mais très peu aboutiront. La faute constitutive d’un délit non-intentionnel doit être
appréciée dans le contexte de sa commission. En cas d’expertise, il faudra apprécier
le comportement du médecin au moment des faits et avec les connaissances acquises
à ce moment. Les publications étant très nombreuses sur le COVID 19, il est important
de se replacer dans le contexte.
L’article L 3136-2 du code de la santé publique, créé par la loi n°2020-546 du 11 mai
2020, est ainsi rédigé « L’article 121-3 du code pénal est applicable en tenant compte
des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l’auteur des faits dans la
situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire, ainsi que de la nature
de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu’autorité locale ou employeur ».
Il s’agit d’une disposition liée à l’état d’urgence sanitaire qui n’a vocation à s’appliquer
qu’à des faits commis pendant cette période. Cet article pourrait trouver à s’appliquer
aux médecins dans le cadre des soins mais aussi en tant qu’employeur. En effet, les
médecins s’interrogent sur le risque d’infection de leur secrétaire par exemple. Les
juges seraient amenés à étudier in concreto le respect des mesures « barrière » lors
de la reprise de l’activité médicale en tenant compte des contraintes et difficultés
rencontrées par la personne poursuivie pour une faute non-intentionnelle. Il s’agit
ici de la responsabilité pénale des décideurs chargés d’exécuter les mesures de l’état
d’urgence sanitaire (les responsables d’établissements de santé par exemple), et non
celle des politiques décidant de ces mesures18
.
Au contraire de la responsabilité pénale, des procédures en indemnisation contre les
établissements de santé pourraient aboutir en cas d’infection nosocomiale.
On peut retenir une infection nosocomiale, si la pathologie s’est manifestée dans
un délai compatible avec le délai d’incubation du SRAS-CoV-2, à condition évidemment
de ne pas être admis à l’hôpital déjà infecté.
Il existe une forte crainte de contaminer des patients qu’ils soient venus en consultation
ou hospitalisés pour une pathologie sans lien avec le SRAS-CoV-2, d’où des urgences,
des filières de consultation et des services d’hospitalisation spécifiquement dédiés
au COVID 19.
Sous réserve du délai d’incubation, l’infection nosocomiale sera facilement retenue,
d’autant que les patients ne reçoivent plus de visite de leur entourage !
La crise sanitaire actuelle du SRAS-CoV-2 aura un impact sur les pratiques y compris
d’expertise qu’il conviendra d’étudier. Nous aurons des expertises en lien direct
avec le COVID mais aussi du fait de la problématique de la prise en charge des patients
non COVID.
Quelles sont les pertes de chances par déprogrammation des chirurgies « non urgentes » ?
La notion d’urgence étant à géométrie variable. Les urgences vitales nécessitant une
intervention chirurgicale dans les heures qui suivent, ont bien sûr été prises en
charge durant toute la crise.
Mais les urgences relatives sont fréquentes par exemple les interventions visant à
soulager des douleurs, avec un risque de complications à plus ou moins court terme
(Hernie discale, hernie inguinale, cholécystite aiguë, pontage coronarien…).
Dans les hôpitaux et les cliniques, les interventions programmées ont été reportées
sine die sauf pour la cancérologie et les urgences, depuis le 16 mars 2020. Cependant,
le patient qui ne marche plus en attendant une arthroplastie de hanche et qui finalement
va mourir d’une complication de l’alitement, pourra-t-il solliciter une perte de chance ?
Qu’en sera-t-il de la responsabilité en cas de hernie étranglée alors qu’on a reporté
l’intervention de cure de hernie inguinale ?
On se promet de nombreux contentieux entre les procédures pour perte de chance de
ne pas avoir prescrit l’hydroxychloroquine (par exemple !), le retard au diagnostic,
le report excessif d’une intervention chirurgicale ou d’une exploration, par exemple
la coloscopie plusieurs fois reportée et de ce fait, le diagnostic de cancer du côlon
retardé.
En tant qu’expert judiciaire, nous réalisons des expertises en responsabilité médicale
pour les juridictions et les commissions de conciliation et d’indemnisation. Comment
pourrons-nous porter un avis sur une prise en charge en cette période de crise sanitaire ?
Certains ont dû mettre en œuvre des prises en charge dégradées non optimales dans
le seul but de sauver le plus de monde possible. On a même transféré des patients
en TGV !
Dans un communiqué du 3 avril 2020, l’Académie nationale de médecine rappelle les
dangers des interruptions de traitement sans avis médical. De son côté, l’Ordre est
très attentif à ce que la crise sanitaire engendrée par la pandémie au Covid-19 « ne
s’accompagne d’une autre crise, silencieuse celle-ci, en rapport avec une forte croissance
de la morbi-mortalité des affections au long cours et d’affections aiguës qui justifient
pleinement d’une prise en charge médicale sans délai ».
Comment les experts analyseront le recours à l’automédication ou en utilisant de manière
inappropriée un traitement par un dépassement ou une réduction intentionnelle des
doses prescrites ? La prescription de médicaments hors autorisation de mise sur le
marché pourra soulever également des questions de responsabilité (l’hydroxychloroquine
par exemple !).
Nous serons également amenés à réaliser des expertises en responsabilité médicale
dans le cadre de la télémédecine (par les médecins) et du télésoin (par des paramédicaux
tels que les kinésithérapeutes par exemple19
).
Nous ne manquerons pas de missions d’expertises dans les années à venir et si enfin
un vaccin est disponible contre le SARS-CoV-2, nous pouvons tabler sur d’immanquables
procédures d’indemnisation suite à des effets secondaires du vaccin…
Déclaration de liens d’intérêts
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.