Lésions acrales et infection par le SARS-CoV-2 : existe-t-il un lien ?
(D’après C. Lesort et al. doi : 10.1016/j.annder.2020.09.097. Communication 092 ;
d’après V. Hebert et al. doi : 10.1016/j.annder.2020.09.098. Communication 093 ; d’après
L. Le Cleach et al. doi : 10.1016/j.annder.2020.09.099. Communication 094 ; d’après
T. Hubiche et al. doi : 10.1016/j.annder.2020.09.100. Communication 095 ; d’après
G. Battesti et al. doi : 10.1016/j.annder.2020.09.229. Poster 70. ; d’après T.A. Duong
et al. doi : 10.1016/j.annder.2020.09.233. Poster 74 ; d’après S. El Mesbahi-Alkadiri
et al. doi : 10.1016/j.annder.2020.09.234. Poster 75 ; d’après L. Fertitta et al.
doi : 10.1016/j.annder.2020.09.235. Poster 76 ; d’après J. Rouanet et al. doi : 10.1016/j.annder.2020.09.246.
Poster 87 ; d’après M. Hedou et al. doi : 10.1016/j.annder.2020.09.240. Poster 81
; et d’après B. Mille et al. doi : 10.1016/j.annder.2020.09.244. Poster 85.)
Au cours de la première vague de l’épidémie de Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus
2 (SARS-CoV-2), un nombre croissant de patients jeunes développant des lésions acrales
était rapporté, suggérant une possible épidémie. Plusieurs communications aux Journées
dermatologiques de Paris (JDP) 2020 avaient pour thème le lien entre ces lésions et
la Coronavirus Disease 2019 (COVID-19), avec des approches différentes mais des conclusions
unanimes.
C. Lesort et coll. [1] rapportent 45 patients ayant consulté au service de dermatologie
de Lyon pour des lésions violacées touchant les orteils dans 95 % des cas, les doigts
dans 18% des cas, prurigineuses ou douloureuses, évoquant des engelures. Il s’agissait
un peu plus fréquemment d’hommes (sex-ratio [SR] 1,4), et l’âge moyen était de 30
ans ; 27 % avaient eu des symptômes viraux non spécifiques dans les jours précédents,
et un tiers mentionnait un contact avec une personne atteinte de COVID-19. Le frottis
naso-pharyngé pour recherche de l’acide désoxyribonucléique (ADN) de SARS-CoV-2 était
négatif chez les 17 patients testés, ainsi que la recherche d’anticorps (Ac) spécifiques
ou d’anomalies biologiques évocatrices d’infection. La recherche d’ADN viral dans
les biopsies de 11 patients était négative elle aussi. Parmi 15 patients testés, 6
(40 %) avaient une « signature transcriptomique interféron ». L’aspect histopathologique
des lésions ne permettait pas de les différencier d’engelures banales ou de lupus
engelure, hormis la présence de polynucléaires éosinophiles dans 23,5 % des cas. L’infiltrat
était principalement constitué de lymphocytes T CD4+ et CD8+ accompagnés de cellules
dendritiques plasmacytoïdes BDCA2+ périvasculaires et périsudorales. L’examen en immunofluorescence
montrait la présence de dépôts immuns dans les vaisseaux dans 82 % des cas (immonuglobulines
M [IgM], A [IgA] et/ou C3).
V. Hebert et coll. [2] ont mené une étude prospective de 31 patients consécutifs ayant
consulté au service de dermatologie de Rouen pour des engelures pendant le confinement.
La même prédominance d’hommes était constatée (SR 1,4), avec une moyenne d’âge un
peu inférieure, de 23 ans ; 30 % des patients avaient d’autres symptômes infectieux
non spécifiques. La recherche de l’ADN de SARS-CoV-2 par frottis naso-pharyngé chez
3 patients était négative. Deux types de tests sérologiques étaient pratiqués (ALBIA-Spike
S1 aux jours 0 [J0] et 14 [J14], Abbott® SARS-CoV-2 IgG à J14), négatifs en immunoglobuline
G (IgG) dans tous les cas avec séropositivité en IgM chez un seul patient à J0 et
J14, sans séroconversion. Sept patients avaient une lymphopénie modérée et 5 des anomalies
immunologiques (anticorps antinucléaires (AAN) chez 2 patients, cryoglobulinémie de
type III chez 3).
Une enquête a été menée par la Société française de dermatologie (SFD), sous le nom
de COVIDSKIN, afin de préciser la nature des lésions au cours de l’épidémie de COVID-19.
Tous les dermatologues de France étaient invités à rapporter les cas de patients suspects
d’infection par le SARS-CoV-2 confirmée ou non, par questionnaire standardisé. Parmi
les 492 cas, 311 concernaient des lésions acrales [3]. Il s’agissait plus souvent
de femmes (SR 0,7), d’âge médian 26 ans. Les pieds étaient atteints dans 88 % des
cas, les mains dans 24%, et au moins un signe extracutané évocateur d’infection était
présent chez 51 %. Les photographies de 245 patients montraient des lésions évocatrices
d’engelures dans 82 % des cas, parfois bulleuses, un œdème érythémateux diffus dans
7 %, des lésions en cocardes évocatrices d’érythème polymorphe mineur dans 6 %, et
des lésions purpuriques ponctiformes dans 4,5 %. Sur 29 biopsies, on notait un aspect
d’engelure dans 26 cas et un aspect non spécifique dans 3 cas. On notait des anomalies
biologiques chez 12 patients, avec AAN dans 11 cas, anticorps anticytoplasme des neutrophiles
(ANCA) 1 cas, cryoglobulinémie 2 cas, et d’anticorps antiphospholipides 1 cas. Une
confirmation de l’infection par le SARS-CoV-2 a été recherchée chez 150 patients (48
%). L’amplification en chaîne par polymérase (PCR) n’était positive que chez 7/121
patients et la sérologie chez 5/75, avec seulement 10 patients (3,2 %) chez qui le
diagnostic de COVID-19 était établi sur le plan virologique.
Ces lésions acrales ont été aussi rapportées chez des enfants, qui sont pourtant moins
sujets à la COVID-19. Le Groupe de recherche de la Société française de dermatologie
pédiatrique a mené une étude en France et au Québec entre février et mai 2020 pour
évaluer le contexte familial vis-à-vis du virus chez des enfants vus pour de telles
lésions pendant cette période [4]. Il s’agissait de 103 enfants, d’âge médian 13 ans
avec légère prédominance de garçons (SR 1,1) ; l’entourage familial correspondait
à 291 personnes. Des cas d’infection possible à SARS-CoV-2 (critères cliniques de
l’European Centre for Disease Prevention and Control [ECDC] : au moins un symptôme
parmi toux, fièvre, souffle court ou apparition soudaine d’une anosmie, agueusie ou
dysgueusie) étaient identifiés dans le foyer de 66 enfants (64 %). Les symptômes d’infection
chez ces membres du foyer précédaient les lésions acrales des enfants dans la grande
majorité (83 %) des cas. Dans 7 foyers, une 2e personne développait aussi de telles
lésions acrales. La PCR SARS-CoV-2 était négative chez les 18 enfants testés, et la
sérologie n’était positive que dans 2 cas sur 14.
Plusieurs posters confirmaient l’absence d’infection documentée chez l’immense majorité
des cas de lésions acrales pendant la première vague [[5], [6], [7], [8], [9]], avec
un taux maximal de positivité des PCR de 4,9 % [6].
Deux études prospectives ont analysé les lésions cutanées des patients avec COVID-19
symptomatique confirmée par PCR. Dans la première à Poitiers sur 103 patients, la
majorité était prise en charge en ambulatoire, et aucun n’avait de lésions de type
engelures, mais on notait 2 cas d’exanthème maculo-papuleux et 2 d’urticaire [10].
Dans l’étude de Lille sur 39 patients en réanimation pour des formes graves, aucun
n’avait de lésions évocatrices d’engelures [11], les seules lésions acrales étant
des lésions thrombotiques dans le contexte de prise d’amines vasopressives et de troubles
de l’hémostase.
Une manière d’affirmer l’implication du virus dans ces lésions est de démontrer sa
présence dans la peau, ce que de rares études ont fait par immunohistochimie ou microscopie
électronique [[12], [13], [14]]. Les possibles particules virales dans les cellules
endothéliales de biopsies d’engelures, sans autre preuve d’infection par le SARS-CoV-2,
doivent être interprétées avec circonspection, en l’absence de contrôles.
Comment dès lors expliquer cette épidémie d’engelures? Le rôle du lavage fréquent
des mains ne tient pas, les lésions étant avant localisée sur les pieds, et celui
de l’exposition au froid pendant le confinement strict non plus. Les lésions de type
engelures font partie du tableau de maladies monogéniques telles que le syndrome d’Aicardi-Goutières
ou le syndrome STING-Associated Vasculopathy of Infancy (SAVI), considérées comme
des prototypes d’interféronopathies de type I, où une sécrétion incontrôlée d’interférons
joue un rôle central dans la physiopathologie. Or ces mêmes interférons ont un rôle
déterminant dans la protection contre l’infection par le SARS-CoV-2, comme en témoignent
la présence d’autoanticorps anti-interférons de type 1 chez 10 % des patients atteints
de formes graves de COVID-19 [15], ou la présence de déficits génétiques de cette
voie de signalisation [16].
Ces engelures pourraient traduire, chez des patients dotés d’une capacité constitutionnelle
du système immunitaire inné à une réponse antivirale forte avec sécrétion d’interférons,
leur résistance à l’infection, expliquant le faible taux de PCR positives, de séroconversion
et d’autres symptômes [17]. Ce mécanisme pourrait survenir dans d’autres viroses,
les engelures pouvant alors être une éruption paravirale.
Conséquences professionnelles du confinement dû à la COVID-19 pour les dermatologues
(D’après L. Misery. doi : 10.1016/j.annder.2020.09.245. Poster 086)
Pendant le confinement, la vie professionnelle des médecins a été bouleversée, les
auteurs de ce poster ont voulu savoir ce qu’il en était pour les dermatologues. Pour
cela, du 39e au 55e et dernier jour du confinement, ils ont mené une enquête anonyme
en ligne grâce aux listes de courriels de la SFD, de la FFCDV et des Futurs dermato-vénérologues
de France (FDVF), en utilisant une feuille de questionnaire Google® (40 questions).
Ils ont reçu 800 réponses, dont 715 en 3 jours. La majorité des dermatologues appartenait
à un groupe à risque (58,7 % étant âgés de 50 à 70 ans et 4 % de plus de 70 ans).
Voici les principaux résultats :
Contamination : un test SARS-CoV-2 positif a été signalé par 3,7 % des personnes interrogées,
tandis que 19,4 % pensaient avoir été infectées. 53,7 % des répondants pensaient avoir
rencontré des patients présentant des symptômes cutanés de la maladie.
Mesures barrières : 97,9 % des personnes interrogées utilisaient des masques, 95,4
% du gel hydro-alcoolique, 87 % des savons, 83,5 % des gants, 64,4 % des surblouses
et 44,1 % des lunettes. 10,7 % déclaraient qu’ils avaient fabriqué euxmêmes des moyens
de protection. Lorsque les dermatologues arrivaient à la maison, 94,4 % se lavaient
les mains, 56,3 % mettaient leurs chaussures dans un endroit séparé et 41,3 % leurs
vêtements.
Consultations et activités : 100 % des rendez-vous ont été annulés ou reportés chez
19,9 % des dermatologues, plus de 90 % chez 39,5 % et de 50 à 90 % chez 34,2 %. 15,2
% avaient des activités non dermatologiques, essentiellement des médecins hospitaliers
au premier rang de la lutte contre l’épidémie.
Télémédecine : 64,3 % pratiquaient la télémédecine. Parmi ceux-ci, 45,3% pensaient
que la relation patientmédecin était moins bonne, tandis que 31,9% pensaient qu’elle
était beaucoup moins bonne, 19,5% similaire, 4,1 % meilleure et 0,8 % bien meilleure.
Après le confinement, 37,0 % envisageaient de faire plus de téléconsultations, 35,8
% voulaient réduire leur activité, 29,8 % voulaient prendre plus de temps pour leur
vie personnelle, 22,3 % voulaient faire plus de consultations pour rattraper le temps
perdu et 21,3 % pour des raisons financières. Seuls 15 % pensaient que leur pratique
professionnelle ne serait pas modifiée après l’épidémie.
Impact financier : la perte de revenu était de 100 % pour 11,9%, de plus de 90% pour
28,5 %, de 50 à 90 % pour 39,8 % et de moins de 50 % pour 19,9 % des dermatologues.
Logiquement, l’impact a été énorme chez les dermatologues exerçant en cabinet privé.
16,2 % ont décidé de faire un emprunt.
Changements clés :
•
le nombre de consultations s’est logiquement effondré, les conséquences ont été essentiellement
financières pour les libéraux, alors qu’elles consistaient souvent en un vrai changement
de métier pour les hospitaliers ;
•
la télémédecine a pris un essor qui sera probablement durable ;
•
une forte proportion des répondants envisageait de prendre après le confinement une
plus grande distance avec leur vie professionnelle.
Pas de surrisque de forme grave de COVID-19 chez les patients sous traitement systémique
ou biologique pour du psoriasis
(D’après A.-C. Fougerousse et al. doi : 10.1016/j.annder.2020.09.101. Communication
096)
Certains traitements systémiques et biologiques du psoriasis sont associés à un surrisque
infectieux et il existe peu de données concernant le risque d’infection à SARS-CoV-2
chez ces patients.
Les auteurs de cette communication orale ont mené une étude pour évaluer la fréquence
des formes graves de COVID-19 (hospitalisation ou décès) chez les patients psoriasiques
sous traitements systémiques et biologiques, et plus particulièrement dans les 4 mois
suivant leur mise en route. Il s’agissait d’une étude multicentrique nationale transversale
de patients adultes, sous traitements systémiques et biologiques pour du psoriasis,
vus en consultation ou téléconsultation entre le 27 avril et le 7 mai 2020.
Ils ont inclus 1 418 patients, voici les principaux résultats :
•
22,4 % des patients sous traitement systémique et 13,8 % de ceux sous biologique ont
arrêté leur traitement au cours de l’épidémie ;
•
5 patients ont été hospitalisés pour un tableau de COVID-19 :
◦
1 femme de 27 ans, obèse et atteinte d’une maladie de Crohn sous adalimumab,
◦
1 homme de 36 ans sous guselkumab,
◦
1 homme de 53 ans sous méthotrexate,
◦
2 patients en réanimation : une femme de 71 ans, obèse sous méthotrexate et étanercept,
un homme de 34 ans obèse sous ustékinumab ;
•
aucun décès n’était rapporté.
Il n’y avait pas de différence significative du nombre de formes graves de COVID-19
selon que le patient soit en phase d’initiation ou d’entretien du traitement, test
de Fisher OR =1,29; IC 95 % : 0,03-13,4 ; p = 0,58.
Dans cette étude, 0,35 % des patients ont présenté une forme grave de COVID-19 nécessitant
une hospitalisation, dont 60 % présentaient d’autres facteurs de risque de forme grave.
Deux patients ont été hospitalisés en début d’épidémie car le traitement systémique
et biologique était alors considéré comme à risque de forme grave de COVID-19.
Ces données sont similaires aux données italiennes, ne trouvant pas surrisque d’hospitalisation
en réanimation ni de décès chez les patients sous traitement biologique pour du psoriasis
par rapport à la population générale [18,19].
En pratique :
•
Cette étude ne met pas évidence de surrisque de forme grave de COVID-19 chez les patients
en phase d’initiation de traitements systémiques et biologiques par rapport au traitement
d’entretien.
•
Ces éléments permettent d’envisager, au cas par cas, la reprise des initiations des
traitements pour les formes sévères de psoriasis dans le contexte de circulation persistante
du SARS-CoV-2.
Déclaration des conflits d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Cet article fait partie du numéro supplément Compterendu du congrès des Journées Dermatologiques
de Paris (JPD) 2020 réalisé avec le soutien institutionnel de Sanofi Genzyme.